HS : c'est parfait ! : )
Il n'y avait pas pire endroit que l'Eden pour s'ennuyer. Pour faire court, c'est un jardin, qui s'accorde parfaitement avec ce que les Humains se font du Paradis : un jardin magnifique, luxuriant, qui semble infini, où il y fait toujours beau et bon, où on trouve une infinité de types de plantes, d'arbres, de fontaines, de statues et de petits chemin ombragés sinueux ça et là, parsemés de bancs en pierre fraîche pour que les masochistes s'y posent et admirent le paysage. Je dis masochiste, parce que si on me forçait à rester assis là sans rien faire à regarder ce jardin atroce, ça me donnerait envie de vomir.
Pour moi, ce jardin est la preuve éblouissante de la duplicité des anges et de leurs hypocrisie. De ce même jardin, on pouvait voir d'un coté la Tour d'ivoire s'élever vers le ciel, étincelante d'autorité et de beauté : un lieu où les pires complots se tramaient et où les puissants se réunissaient pour trouver de nouveaux moyens de marcher sur les plus faibles - les faibles comme moi. De l'autre coté, on distinguait Elysion, plongée dans la brume. Elysion, la prison des anges, un lieu où j'avais dû me rendre pour délivrer des messages, un lieu qui me faisait encore cauchemarder.
Ainsi étaient les Cieux étincelants des Anges : un sublime jardin au pied d'une prison de cauchemar et d'une tour de dictature. Je vous le dis, tout ça est hypocrite à gerber.
J'allais d'un bon pas dans l'Eden, en chassant avec agacement les papillons colorés qui me tournaient autour et qui devaient sûrement en ravir certains - mais pas moi, pas moi bordel ! ! J'avais un message à délivrer... mais je prenais tout mon temps pour y aller. Non pas que la teneur du message divin me déplaisait, pour une fois ! D'habitude, Dieu m'envoyait auprès d'humains têtus qui ne voulaient rien entendre et je perdais mon temps et ma patience à essayer de les convaincre de ne pas s'attaquer aux démons et aux anges alors que leur sort m'était bien égal. Mais cette fois, le message était vraiment radicalement différent, et je me délectais d'avance de le répéter à son heureux - ou malheureux ?? - destinataire. Notre Père à tous avait souffert en me l'apprenant, et plus encore quand je l'avais répété tout haut devant lui avec application. Moi, intérieurement, je me réjouissais ! Et j'avais une envie folle de le hurler sur les toits. Cependant, il n'était destiné qu'à une seule paire d'oreilles, et j'aurai risqué gros à laisser fuiter le secret.
Si je prenais mon temps - et pas la voie des airs - pour aller trouver le destinataire de mon message, c'était qu'il travaillait parfois dans la Tour d'ivoire, et que je n'avais pas du tout envie d'y mettre les pieds. Cet endroit était rempli d'anges surpuissants qui parfois, juste parce qu'ils s'ennuyaient, vous attrapaient dans un couloir et vous faisaient souffrir mille maux juste pour s'amuser et parce que vous n'aviez pas le droit de vous défendre contre eux.
Normalement, j'ai le pouvoir de me téléporter directement auprès du destinataire. Mais me téléporter dans la Tout d'ivoire sans prévenir, comme ça ?? Ah ! La bonne blague, jamais de la vie ! Mais si j'avais de la chance, il serait sur Terre et pas là-bas, et alors je serai dispensé d'y pénétrer...
Tout à mes réflexions, je rentrai soudain dans quelqu'un et vacillai sur mes jambes. Une vois basse et bien connue prit la parole :
« Eh bien Suzu, quel bon vent t'amène ? »
Je me secouai et reconnus Tsukasa. Pas un ami - j'avais du mal à être ami avec les êtres capables de me pulvériser d'un seul claquement de doigts. Mais quelqu'un qui me comprenait, je pense. Lui non plus n'aimait pas l'ordre établi. Lui aussi détestait obéir. Il aurait aimé être son propre maître, et moi aussi. La différence entre nous, c'était qu'il en avait le pouvoir. Dans quelques siècles, il serait sûrement tout en haut de l'échelle. Moi, je resterai, pour l'éternité, un ange de basse caste. Donc il restait dans le rang, et moi non.
« Désolé je suis un peu tendu, l'agitation ici c'est horrible, ça me rend nerveux pas toi ? »
Je hochai la tête sans un mot. Je voyais ce qu'il voulait dire. Cet endroit était comme un enfer, sans mauvais jeu de mots...
« Alors plus sérieusement à qui vas-tu délivrer ton message aujourd'hui ? A qui vas-tu faire peur du haut de ton statut impérieux et surpuissant mon camarade ?
»
La question m'arracha un sourire grimaçant et je réglai mon pas sur le sien - mon message pouvait attendre, hein ? J'avais tellement envie de tout lui raconter ! Pas seulement parce que je savais qu'il allait adorer ça, mais aussi parce que lui au courant, il en tirerait avantage d'une façon ou d'une autre, et cela bouleverserait l'ordre établi, ne serait-ce qu'un peu. Et j'adorai le désordre.
« Mon statut surpuissant ? J'aimerais bien... mais si notre cher Papa n'était pas derrière moi, tu sais bien que tout le monde se ferait une joie de me massacrer... »
Je lui jetai un regard de biais. Peut-être pas lui. Ou peut-être que si. Allez savoir ce qu'il pensait ?
« Si tu passes une mauvaise journée, ce que je sais suffirait à te rendre un peu le sourire. Mais je n'ai pas le droit d'en parler, tu le sais ! »
C'était tellement frustrant ! Sur Terre, à la limite... mais ici, dans la maison de Dieu, je ne pouvais utiliser les termes se trouvant dans le message, ou Il l'entendrait... Je pouvais toujours tenter de tourner autour du pot...
« Celui à qui je dois délivrer mon message... tu le connais forcément. Tout le monde le connait, au moins de nom et de réputation, mais toi, tu dois le connaître personnellement... »